Le paquebot L’Île de France
1927 - L'Île de France : Quand l'Art Déco Prend le Large
La Naissance d'un Joyau Flottant
Dans l’effervescence des années folles, Paris vibre au rythme d’un nouvel art de vivre. L’Art Déco, né des cendres de la Grande Guerre, s’impose comme le symbole d’une modernité audacieuse. C’est dans ce contexte électrisant que la Compagnie Générale Transatlantique lance un défi sans précédent : faire de l’Île de France le paquebot le plus élégant de son temps.
Les Maîtres à l'Œuvre
La rencontre de Jacques Rhulmann et de Jean Dunand
Jean Dunand, maître laqueur, et Jacques-Émile Ruhlmann, ébéniste de génie, se voient confier cette mission titanesque. Dans leurs ateliers parisiens, l’excitation est palpable. Dunand, rue Hallé, expérimente de nouvelles techniques de laque, tandis que Ruhlmann, rue du Faubourg-Saint-Antoine, esquisse des meubles aux lignes révolutionnaires.
L'art déco à bord
Le Grand Salon : Une Œuvre d'Art Flottante
Le grand salon du paquebot devient le terrain d’expression favori de Dunand. Il y crée des panneaux de laque monumentaux, où des motifs géométriques audacieux se mêlent à des représentations stylisées de la faune et de la flore. L’or et l’argent se marient au noir profond, créant des jeux de lumière saisissants qui captiveront les passagers.
La Salle à Manger : Élégance et Prouesse Technique
Ruhlmann, quant à lui, connaissait pour la salle à manger de première classe un ensemble harmonieux de tables et de chaises en palissandre de Rio. Chaque meuble est une prouesse technique, alliant stabilité pour résister au roulis et raffinement dans les moindres détails. Les dossiers des chaises, légèrement incurvés, offrent un confort optimal tout en conservant une silhouette élancée.
Les Cabines de Luxe : Un Cocon Art Déco
Dans les cabines de luxe, l’Art Déco s’exprime avec subtilité. Ruhlmann y installe des commodes en ébène de Macassar, ornées d’incrustations d’ivoire formant des motifs abstraits. Les lits, bas et aux lignes épurées, sont surmontés de têtes de lit capitonnées de cuir, apportant une touche de chaleur à l’ensemble.
Le Fumoir et la Bibliothèque : Des Écrins de Raffinement
Le fumoir devient un écrin de luxe masculin. Ruhlmann y place des fauteuils club en cuir havane, aux formes généreuses mais aux lignes nettes. Les tables basses en ébène noir brillant contrastent avec le tapis aux motifs cubistes, dans des tons brun et ocre. Dunand couronne l’ensemble de panneaux muraux en laque rouge et or, représentant des scènes de chasse stylisées.
De la conception au lancement
L'Effervescence Parisienne
À Paris, l’effervescence autour du projet est à son comble. Les ateliers de Dunand et Ruhlmann travaillent jour et nuit, repoussant les limites de leur art. Des apprentis talentueux s’affairent autour des maîtres, absorbant leur savoir-faire unique. L’air est chargé de l’odeur du bois fraîchement coupé, des vernis et des laques.
Le Lancement : Un Moment Historique
Le jour du lancement, en 1927, l’émotion est palpable sur les quais du Havre. Dunand et Ruhlmann, entourés de leurs équipes, observent avec fierté ce paquebot qui incarne leurs visions artistiques. L’Île de France s’élance vers l’Atlantique, importante avec elle le génie créatif français et l’esprit des années folles.
Épilogue : Le Destin de l'Île de France
De la Gloire à la Guerre
Les années de gloire
L’Île de France entame sa carrière en juillet 1927, incarnant le luxe et l’élégance française sur les flots. Pendant plus d’une décennie, elle transporte les célébrités et l’élite entre Le Havre et New York, devenant le navire préféré des stars hollywoodiennes.
Les Années de Guerre
La Seconde Guerre mondiale interrompt brutalement cette traversée glorieuse. En 1940, les Britanniques réquisitionnent le paquebot et le transforment en transport de troupes. L’Île de France participe alors à de nombreuses opérations militaires, transportant des soldats sur des points stratégiques.
L'après guerre et le déclin
Le Retour à la Gloire
Après la guerre, en 1946, le navire retrouve sa vocation première. La Compagnie Générale Transatlantique le rénove, préservant l’essentiel de son style Art Déco d’origine. L’Île de France sera transformé à Saint Nazaire ou sa 4ème cheminée sera supprimée. Il reprendra du service sur l’Atlantique Nord, accueillant à une nouvelle clientèle prestigieuse.
Le Déclin et la Fin
Les années 1950 marquent l’apogée du transport maritime de passagers. L’Île de France brille encore, mais l’avènement de l’aviation commerciale annonce la fin d’une ère. En 1958, le paquebot effectue sa dernière traversée transatlantique, clôturant trois décennies de service.
L'Héritage
Aujourd’hui, les amateurs d’art et les passionnés d’histoire maritime recherchent avec passion les rares pièces de mobilier et de décoration sauvées du navire. Ces vestiges, œuvres de Dunand et Ruhlmann, à l’effigie des sommes vertigineuses dans les ventes aux enchères, témoignant de la valeur inestimable de ce patrimoine flottant.
L’Île de France, bien que disparu, reste gravé dans la mémoire collective comme un symbole de l’âge d’or des paquebots transatlantiques et du génie créatif français de l’entre-deux-guerres.